Lors de la création du cabinet Et-maintenant, une question est souvent revenue de la part de
nos clients : quel est le lien entre les cancers, le burnout et les
accidents ? Vous accompagnez des personnes après un arrêt longue durée
mais il y a sans doute peu de points communs entre ces différentes
situations ? Comment expliquez-vous cela ?
Comparer en effet un cancer du
sein, un accident de ski, un burnout est compliqué. Nous n’allons pas revenir
sur les différences cliniques, ce n’est pas notre sujet. Nous nous plaçons sous
l’angle de vue de la personne de retour en entreprise après avoir été arrêté
sur une période longue, au moins 3 mois, parfois beaucoup plus. La durée significative
de l’arrêt est déjà un premier point commun. Plus la durée d’arrêt sera longue,
plus complexe sera le retour car l’entreprise a changé. Le manager, le service,
les collègues ne seront plus forcément les mêmes. Plus la durée s’allonge, plus
forte est aussi la déconnexion avec le rythme du travail. Ceci est vérifié dans
tous les cas de causes d’arrêt.
Le questionnement de la personne de retour est aussi commun à l’ensemble des situations. Comment
vais-je réintégrer mon poste, dans l’entreprise en général. L’entreprise aura-t-elle
changé ? Vais-je être capable de faire mon travail comme avant ou
pas ? Comment gérer la situation ? Ce type d’interrogation sera plus
ou moins fort non pas à cause de la pathologie à l’origine de l’arrêt, mais
plutôt en fonction de la durée de l’arrêt. Ou du type d’entreprise. Les grands
groupes internationaux sont plus mouvants que les PME familiales, le retour y
sera plus hasardeux.
Troisième point commun, et non des moindre, la reprise d’une activité réelle, même en mi-temps
thérapeutique est un signal fort envoyé à soi-même, à son entourage personnel
et professionnel. C’est dans tous les cas une étape importante de sa reconstruction.
Cela permet de boucler une période de sa vie - certes la boucle n’est pas encore
complétement bouclée - mais le retour au travail est un début de ligne droite vers
la sortie de la période de crise en cours. C’est pourquoi le retour en poste,
quand il est possible, en un facteur important de reconstruction, sous réserve
qu’il permette de repartir d’un bon pied et ne soit pas plus destructeur.
Enfin,
dernière point commun et il est majeur. Dans toutes ces situations, la
personne a perdu le contrôle. Elle a subi, elle n’a pas choisi. Elle a subi une
opération, une chimiothérapie, une radiothérapie, un période forcée d’inactivé,
une cure de sommeil, une convalescence, une rééducation, un isolement en
chambre stérile parfois. Elle n’a plus décidé, elle a suivi en tentant de
faire face au mieux. Mais le sentiment général est celui d’une perte de contrôle
de sa vie, emportée par un tourbillon dont personne ne voit le fond de
l’entonnoir.
Le vrai point commun entre toutes
ces pathologies, c’est bien celui-ci. Le lâcher prise, de gré ou de force.
Corolaire de ce lâcher prise : se retrouver confronté à un monde inconnu. De nouveaux
termes, les étiquettes des hôpitaux, les contrôles médicaux, les IRM, scanners,
Pet scans, hôpital de jour, les psychologues, le psychiatre, le spécialiste de
la pathologie. Toutes ces personnes ont posé des questions que l’on n’imaginait
pas, ont parfois imposé des décisions que je ne voulais pas vraiment. J’ai dû demander
de l’aide, abandonner les problèmes courant à mes proches, affronter les
questions des autres, gérer mon énergie au mieux en fonction de la journée.
Bref, j’ai compris que je n’étais pas infaillible, mon corps
ou mon psychique m’ont lâché. J’ai fait une grosse entaille dans le contrat de
ma toute-puissance supposée.
Second corolaire de ces situations, le malade constate que le « Ça n’arrive pas
qu’aux autres » est une réalité. Flûte alors. Cette phrase toute faite, là,
c’est pour soi ? Pour de vrai ?
C’est d’ailleurs une belle
opportunité de repenser à la façon dont la personne s’est comportée face à des
situations vécues précédentes. Qu’a t-elle face à quelqu’un qui était en
arrêt ? A t-elle haussé les épaules, été indifférente, ou sauveur ? Ou bien juste ?
Pour illustrer dans un autre
domaine, je suis toujours surpris quand je rencontre des demandeurs d’emploi,
ou des créateurs d’entreprises, quand ils me disent que les « autres »
ne sont pas aidants. Pour un demandeur d’emploi, c’est l’ancien collègue qui ne
fait rien pour transmettre le CV. Pour le créateur, c’est l’ancienne relation
professionnelle qui ne veut pas le recevoir en rendez-vous commercial sans
l’aura de son titre précédent. J’aime bien alors leur poser la
question suivante « Mais vous, quand vous étiez en poste, vous en
avez transmis des CV ? Vous en avez reçu des créateurs ? »
Cette question génère souvent un grand silence. Ceux qui se plaignent
de cette situation sont souvent ceux qui ne faisaient rien avant. Cette prise
de conscience est salutaire. C’est pareil pour une personne malade ou en
burnout. « Vous, comment avez-vous fait face à un collègue en
arrêt ?» ?
Il ne s’agit pas de culpabiliser
la personne mais de lui faire prendre conscience que la vie continue, que les
autres ne sont pas parfaits, font de leur mieux souvent. Dans tous les cas, la
réponse au problème est un peu chez les autres, mais surtout chez soi. Cette
démarche est un élément clé du cycle de reconstruction.
Dernier point commun, le processus de rupture et de reconstruction est assez similaire
dans ces grandes étapes en fonction des pathologies. Je ne vais pas reprendre
la courbe de deuil de Elisabeth Kübler-Ross[i],
plutôt orientée pour les soins palliatifs et la fin de vie, mais un cycle utilisé en
logothérapie, même si des points communs nombreux existent. En particulier qu'il ne s'agit pas d'une linéarité, des retours en arrière sont possibles. Certaines étapes peuvent être "sautées" aussi.
La phase initiale
La première phase est appelée
phase initiale. Elle est composée de 3 étapes : l’incertitude, la
certitude, l’agression. Cette phase initiale est celle précisément où la
personne découvre qu’elle ne maitrise plus grand-chose.
Le stade d’incertitude. Il reste encore une possibilité que
la situation soit bégnine. Certes, mince mais réelle. Les questions sont du
type :
- Qu’est ce qui se passe ?
- Je connais la date l’opération, est-ce vraiment un cancer ?
- Je ne suis pas en forme, je suis fatigué(e) mais ça va aller ! C’est juste un coup de pompe !
- J’ai eu un accident mais demain je suis sur pied !
Le stade de Certitude. Le médecin ou le psychiatre confirme
le diagnostic. Il y a une preuve réelle et tangible de la situation. Un arrêt
de travail, une opération, une chambre d’hôpital.
- Oui, j’ai un cancer !
- C’est n’est pas possible !
- Les docteurs se trompent !
- Mais ils ont parlé de chimio, de traitements ! Je sens la cicatrice, ça tire !
- Ils parlent de rééducation, de convalescence !
- Je suis en arrêt 3 mois pour burnout ! Renouvelable !
Le stade d’agression.
Ce n’est pas possible, je n’accepte pas la situation. Pour la simple et
bonne raison qu’elle n’est pas juste ni justifiée. Cela me met en colère !
- Pourquoi ?
- Je suis enragé,
- Je me sens attaqué déchiré, étranglé,
- J’accuse les proches, les médecins,
- Les autres ne me comprennent pas, ils ont de la chance
- Je suis jaloux
- J’ai toujours tout fait pour rester en bonne santé
La phase de transition
La seconde phase est la phase de
transition. Malgré la colère, la personne finit par comprendre que la réalité
est là. Les médecins, le manque d’énergie, la fatigue, le proches qui sont
souvent en difficulté ou perdus. Commence alors une phase de descente
douloureuse. Elle comprend un stade de négociation et de dépression.
Le stade de négociation. Avant de lâcher complétement, de
renoncer temporairement, le malade va essayer de trouver des biais. Des
solutions.
- Si j’étais capable de trouver une alternative ?
- Un autre médecin compétent ?
- Une meilleure méthode, un traitement ?
- Un remède miraculeux ?
- Si je changeais mon style de vie, mon alimentation ?
- Ok, je ne travaillerai plus le soir. Ni mes mails !
Le stade de dépression. Les faits
sont têtus et la négociation ne donne rien ou pas grand-chose. La maladie est
là, les traitements sont là, le manque d’énergie est là. S’ouvre alors un grand
vide. Tout ça pour en arriver là ? Tout ce que j’ai entrepris, construit
est finalement si incertain. C’est absurde.
- Il n’y a plus de sens
- Je suis seule
- Personne ne peut aider tout est gris
- Ne me donne pas de conseil
- Je ne veux plus
- Est-ce que je devrais changer de thérapeute, quelqu’un qui me comprend, avec qui parler de mes peurs
- Mais je ne veux pas et comment ; il y tant de questions !
La phase finale
La dernière phase est la phase de
reconstruction, ou la phase finale. Elle permet de renaitre de ses cendres en
quelque sorte. Par contre, elle implique une sortie de la phase dépression, qui
elle peut demander un certain temps. Il n’y a pas de règles sur la durée, c’est
très lié à la pathologie, à l’historique, à la maladie. 3 stades : Acceptation,
activité et solidarité.
Le stade d’acceptation. Il est
clair que la situation est différente d’avant. Les choses sont maintenant
différentes, pas forcément moins bien ou mieux, juste différentes. C’est le
moment du « tournant Copernicien ». La question n’est pas
« Pourquoi » mais bien « Pour en faire quoi ? »
- Je reconnais les réalités
- Il y a des limites, des changements, des pertes
- Je ne peux plus continuer comme avant
- Il y a des ressources insoupçonnées
- Je vois de la lumière à travers les barreaux
Le stade d’activité. Une fois
cette acceptation faite, la personne redécouvre qu’elle a encore du temps
devant elle, des projets. Ce ne seront pas les mêmes projets qu’avant mais des
projets néanmoins.
- J’ai de projets, je les ferai !
- Je prends du temps pour me promener, un voyage
- J'utilise les heures et les jours où je me sens bien
- Je réalise un projet qui n’avait toujours intéressé et pour lequel je n’avais jamais le temps
- Je pense à moi et je me soigne
Le stade de solidarité. Ce stade
est spécifique à l’approche Logothérapie. C’est un stade où la personne cherche
à donner du sens à ce qu’elle a vécu. Or le sens ne se trouve qu’en direction
de l’autre. Entamer une démarche de solidarité est un moyen d’aller vers
l’autre, donc de trouver un sens au vécu.
- Je suis dans une dynamique de groupe, j'aide.
- Nous agissons ensemble
- Je ne suis plus seul(e)
- Je m’engage dans un groupe
- Je reconnais que chacun vis des crises + ou - graves
- Je partage avec mes proches (mais pas que)
- Je me permets de parler de moi, de la maladie, de la vie.
On le voit, si les pathologies sont très différentes, de
nombreux points communs existent.
Mais concrètement ?
A quoi sert ce constat s’il ne permet pas d’améliorer le sort des
personnes au sein de l’entreprise ?
Il existe un point
fondamental dans l’approche de la reconstruction après un arrêt longue durée,
qu’il soit lié à un cancer, à un burnout ou à un accident : la personne en
tant que telle. Car, finalement, peu importe la cause, c’est bien la personne
qui va œuvrer pour s’en sortir et elle est responsable de ses actes, de sa reconstruction.
Ne
pas centrer la démarche de reconstruction sur la seule maladie a un énorme
avantage. Elle n’est pas stigmatisante. La personne n’est pas que son Cancer,
ou son burnout. C’est une personne qui a vécu une difficulté et qui revient
dans l’entreprise. La question de savoir la cause de cet arrêt est importante
mais il ne s’agit pas de parler du cancer ou du burnout. Si la revisite de
certains éléments historiques de l’arrêt sont parfois utiles, ce n’est pas le
centre du débat. L’accompagnement s’intéresse d’abord à la personne, pas à la
maladie.
La question que se pose l’accompagnant
est « Qui est cette personne en face de moi, où en est-elle dans son processus
de reconstruction, comment l’aider ?». Si avoir vécu la même situation que
la personne malade est aidant pour mieux comprendre rapidement son
questionnement, ce n’est pas là le cœur de l’accompagnement.
Autre dimension, la personne est responsable. Elle
seule peut s’aider et trouver les réponses à ses questions. Elle en est tout à
fait capable, même si elle peut avoir besoin de soutien dans cette démarche. Sans
rentrer dans des débats entre psychanalyse et Logothérapie qui ne sont pas le
souci d’une approche très pragmatique, la personne n’est pas le simple jeu de
son inconscient ou des événements. Elle a le choix et en particulier toujours
le choix de choisir son comportement face à la situation. Elle a le choix de la
façon de vivre sa reconstruction. Si elle n’a pas choisi la maladie, ni le
burnout, elle a maintenant le choix de se reconstruire et de tenter de trouver
un sens à ce qui lui arrive. Elle a également le choix de continuer dans son
fonctionnement ancien ou d’en changer, les deux étant acceptables mais avec des
conséquences différentes. L’objectif de l’accompagnant est d’augmenter le
niveau de conscience de la personne en face, pour qu’elle soit en mesure de
faire ses propres choix. Elle a également le choix de transformer son épreuve
en solidarité sous une forme ou une autre. Ou pas.
Enfin, et c’est un point qui
apparait souvent dans l’accompagnement, elle a le choix du rythme de sa
reconstruction. Du temps qui lui faudra pour s’orienter, ou pas, vers une
nouvelle vie qui donne plus de sens à ses actes. Là encore, nulle préconisation
de la part de l’accompagnant. S’il faut changer rapidement, c’est possible.
S’il faut 5 à 10 ans pour se réorienter, en prenant en compte la réalité du
terrain et de la vie de la personne c’est valable aussi.
Ce qui est vraiment important
pour l’accompagnant, c’est d’aider la personne à se dire « J’ai vécu ceci,
je vais en faire cela, en allant dans cette direction, à mon rythme » et à
choisir ce qui est juste pour elle.
[i]
Sur le chagrin et sur le deuil Poche – 3 mars 2011 de David KESSLER (Auteur),
Elisabeth KUBLER-ROSS (Auteur), Joëlle TOUATI (Traduction)
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Tannguy