mardi 22 septembre 2015

Cancer & burnout : même combat ?



Lors de la création du cabinet Et-maintenant, une question est souvent revenue de la part de nos clients : quel est le lien entre les cancers, le burnout et les accidents ? Vous accompagnez des personnes après un arrêt longue durée mais il y a sans doute peu de points communs entre ces différentes situations ? Comment expliquez-vous cela ?

Comparer en effet un cancer du sein, un accident de ski, un burnout est compliqué. Nous n’allons pas revenir sur les différences cliniques, ce n’est pas notre sujet. Nous nous plaçons sous l’angle de vue de la personne de retour en entreprise après avoir été arrêté sur une période longue, au moins 3 mois, parfois beaucoup plus. La durée significative de l’arrêt est déjà un premier point commun. Plus la durée d’arrêt sera longue, plus complexe sera le retour car l’entreprise a changé. Le manager, le service, les collègues ne seront plus forcément les mêmes. Plus la durée s’allonge, plus forte est aussi la déconnexion avec le rythme du travail. Ceci est vérifié dans tous les cas de causes d’arrêt.

Le questionnement de la personne de retour est aussi commun à l’ensemble des situations. Comment vais-je réintégrer mon poste, dans l’entreprise en général. L’entreprise aura-t-elle changé ? Vais-je être capable de faire mon travail comme avant ou pas ? Comment gérer la situation ? Ce type d’interrogation sera plus ou moins fort non pas à cause de la pathologie à l’origine de l’arrêt, mais plutôt en fonction de la durée de l’arrêt. Ou du type d’entreprise. Les grands groupes internationaux sont plus mouvants que les PME familiales, le retour y sera plus hasardeux.

Troisième point commun, et non des moindre, la reprise d’une activité réelle, même en mi-temps thérapeutique est un signal fort envoyé à soi-même, à son entourage personnel et professionnel. C’est dans tous les cas une étape importante de sa reconstruction. Cela permet de boucler une période de sa vie - certes la boucle n’est pas encore complétement bouclée - mais le retour au travail est un début de ligne droite vers la sortie de la période de crise en cours. C’est pourquoi le retour en poste, quand il est possible, en un facteur important de reconstruction, sous réserve qu’il permette de repartir d’un bon pied et ne soit pas plus destructeur.

Enfin, dernière point commun  et il est majeur. Dans toutes ces situations, la personne a perdu le contrôle. Elle a subi, elle n’a pas choisi. Elle a subi une opération, une chimiothérapie, une radiothérapie, un période forcée d’inactivé, une cure de sommeil, une convalescence, une rééducation, un isolement en chambre stérile parfois. Elle n’a plus décidé, elle a suivi en tentant de faire face au mieux. Mais le sentiment général est celui d’une perte de contrôle de sa vie, emportée par un tourbillon dont personne ne voit le fond de l’entonnoir.

Le vrai point commun entre toutes ces pathologies, c’est bien celui-ci. Le lâcher prise, de gré ou de force.

Corolaire de ce lâcher prise : se retrouver confronté à un monde inconnu. De nouveaux termes, les étiquettes des hôpitaux, les contrôles médicaux, les IRM, scanners, Pet scans, hôpital de jour, les psychologues, le psychiatre, le spécialiste de la pathologie. Toutes ces personnes ont posé des questions que l’on n’imaginait pas, ont parfois imposé des décisions que je ne voulais pas vraiment. J’ai dû demander de l’aide, abandonner les problèmes courant à mes proches, affronter les questions des autres, gérer mon énergie au mieux en fonction de la journée.
Bref, j’ai compris que je n’étais pas infaillible, mon corps ou mon psychique m’ont lâché. J’ai fait une grosse entaille dans le contrat de ma toute-puissance supposée.

Second corolaire de ces situations, le malade constate que le « Ça n’arrive pas qu’aux autres » est une réalité. Flûte alors. Cette phrase toute faite, là, c’est pour soi ? Pour de vrai ?
C’est d’ailleurs une belle opportunité de repenser à la façon dont la personne s’est comportée face à des situations vécues précédentes. Qu’a t-elle face à quelqu’un qui était en arrêt ? A t-elle haussé les épaules, été indifférente, ou sauveur ? Ou bien juste ?
Pour illustrer dans un autre domaine, je suis toujours surpris quand je rencontre des demandeurs d’emploi, ou des créateurs d’entreprises, quand ils me disent que les « autres » ne sont pas aidants. Pour un demandeur d’emploi, c’est l’ancien collègue qui ne fait rien pour transmettre le CV. Pour le créateur, c’est l’ancienne relation professionnelle qui ne veut pas le recevoir en rendez-vous commercial sans l’aura de son titre précédent. J’aime bien alors leur poser la question suivante « Mais vous, quand vous étiez en poste, vous en avez transmis des CV ? Vous en avez reçu des créateurs ? »
Cette question génère souvent un grand silence. Ceux qui se plaignent de cette situation sont souvent ceux qui ne faisaient rien avant. Cette prise de conscience est salutaire. C’est pareil pour une personne malade ou en burnout. « Vous, comment avez-vous fait face à un collègue en arrêt ?» ?
Il ne s’agit pas de culpabiliser la personne mais de lui faire prendre conscience que la vie continue, que les autres ne sont pas parfaits, font de leur mieux souvent. Dans tous les cas, la réponse au problème est un peu chez les autres, mais surtout chez soi. Cette démarche est un élément clé du cycle de reconstruction.

Dernier point commun, le processus de rupture et de reconstruction est assez similaire dans ces grandes étapes en fonction des pathologies. Je ne vais pas reprendre la courbe de deuil de Elisabeth Kübler-Ross[i], plutôt orientée pour les soins palliatifs et la fin de vie, mais un cycle utilisé en logothérapie, même si des points communs nombreux existent. En particulier qu'il ne s'agit pas d'une linéarité, des retours en arrière sont possibles. Certaines étapes peuvent être "sautées" aussi.

La phase initiale

La première phase est appelée phase initiale. Elle est composée de 3 étapes : l’incertitude, la certitude, l’agression. Cette phase initiale est celle précisément où la personne découvre qu’elle ne maitrise plus grand-chose.



Le stade d’incertitude. Il reste encore une possibilité que la situation soit bégnine. Certes, mince mais réelle. Les questions sont du type :
  • Qu’est ce qui se passe ?
  • Je connais la date l’opération, est-ce vraiment un cancer ?
  • Je ne suis pas en forme, je suis fatigué(e) mais ça va aller ! C’est juste un coup de pompe !
  • J’ai eu un accident mais demain je suis sur pied !

Le stade de Certitude. Le médecin ou le psychiatre confirme le diagnostic. Il y a une preuve réelle et tangible de la situation. Un arrêt de travail, une opération, une chambre d’hôpital.

  • Oui, j’ai un cancer !
  • C’est n’est pas possible !
  • Les docteurs se trompent !
  • Mais ils ont parlé de chimio, de traitements ! Je sens la cicatrice, ça tire !
  • Ils parlent de rééducation, de convalescence !
  • Je suis en arrêt 3 mois pour burnout ! Renouvelable !

Le stade d’agression.  Ce n’est pas possible, je n’accepte pas la situation. Pour la simple et bonne raison qu’elle n’est pas juste ni justifiée. Cela me met en colère !

  • Pourquoi ?
  • Je suis enragé,
  • Je me sens attaqué déchiré, étranglé,
  • J’accuse les proches, les médecins,
  • Les autres ne me comprennent pas, ils ont de la chance
  • Je suis jaloux
  • J’ai toujours tout fait pour rester en bonne santé

La phase de transition

La seconde phase est la phase de transition. Malgré la colère, la personne finit par comprendre que la réalité est là. Les médecins, le manque d’énergie, la fatigue, le proches qui sont souvent en difficulté ou perdus. Commence alors une phase de descente douloureuse. Elle comprend un stade de négociation et  de dépression.

Le stade de négociation. Avant de lâcher complétement, de renoncer temporairement, le malade va essayer de trouver des biais. Des solutions.

  • Si j’étais capable de trouver une alternative ?
  • Un autre médecin compétent ?
  • Une meilleure méthode, un traitement ?
  • Un remède miraculeux ?
  • Si je changeais mon style de vie, mon alimentation ?
  • Ok, je ne travaillerai plus le soir. Ni mes mails !

Le stade de dépression. Les faits sont têtus et la négociation ne donne rien ou pas grand-chose. La maladie est là, les traitements sont là, le manque d’énergie est là. S’ouvre alors un grand vide. Tout ça pour en arriver là ? Tout ce que j’ai entrepris, construit est finalement si incertain. C’est absurde.

  • Il n’y a plus de sens
  • Je suis seule
  • Personne ne peut aider tout est gris
  • Ne me donne pas de conseil
  • Je ne veux plus
  • Est-ce que je devrais changer de thérapeute, quelqu’un qui me comprend, avec qui parler de mes peurs
  • Mais je ne veux pas et comment ; il y tant de questions !

La phase finale

La dernière phase est la phase de reconstruction, ou la phase finale. Elle permet de renaitre de ses cendres en quelque sorte. Par contre, elle implique une sortie de la phase dépression, qui elle peut demander un certain temps. Il n’y a pas de règles sur la durée, c’est très lié à la pathologie, à l’historique, à la maladie. 3 stades : Acceptation, activité et solidarité.

Le stade d’acceptation. Il est clair que la situation est différente d’avant. Les choses sont maintenant différentes, pas forcément moins bien ou mieux, juste différentes. C’est le moment du « tournant Copernicien ». La question n’est pas « Pourquoi » mais bien « Pour en faire quoi ? »

  • Je reconnais les réalités
  • Il y a des limites, des changements, des pertes
  • Je ne peux plus continuer comme avant
  • Il y a des ressources insoupçonnées
  • Je vois de la lumière à travers les barreaux

Le stade d’activité. Une fois cette acceptation faite, la personne redécouvre qu’elle a encore du temps devant elle, des projets. Ce ne seront pas les mêmes projets qu’avant mais des projets néanmoins.

  • J’ai de projets, je les ferai !
  • Je prends du temps pour me promener, un voyage
  • J'utilise les heures et les jours où je me sens bien
  • Je réalise un projet qui n’avait toujours intéressé et pour lequel je n’avais jamais le temps
  • Je pense à moi et je me soigne

Le stade de solidarité. Ce stade est spécifique à l’approche Logothérapie. C’est un stade où la personne cherche à donner du sens à ce qu’elle a vécu. Or le sens ne se trouve qu’en direction de l’autre. Entamer une démarche de solidarité est un moyen d’aller vers l’autre, donc de trouver un sens au vécu.

  • Je suis dans une dynamique de groupe, j'aide.
  • Nous agissons ensemble
  • Je ne suis plus seul(e)
  • Je m’engage dans un groupe
  • Je reconnais que chacun vis des crises + ou -  graves
  • Je partage avec mes proches (mais pas que)
  • Je me permets de parler de moi, de la maladie, de la vie.

On le voit, si les pathologies sont très différentes, de nombreux points communs existent.

Mais concrètement ?  A quoi sert ce constat s’il ne permet pas d’améliorer le sort des personnes au sein de l’entreprise ?

Il existe un point fondamental dans l’approche de la reconstruction après un arrêt longue durée, qu’il soit lié à un cancer, à un burnout ou à un accident : la personne en tant que telle. Car, finalement, peu importe la cause, c’est bien la personne qui va œuvrer pour s’en sortir et elle est responsable de ses actes, de sa reconstruction.

Ne pas centrer la démarche de reconstruction sur la seule maladie a un énorme avantage. Elle n’est pas stigmatisante. La personne n’est pas que son Cancer, ou son burnout. C’est une personne qui a vécu une difficulté et qui revient dans l’entreprise. La question de savoir la cause de cet arrêt est importante mais il ne s’agit pas de parler du cancer ou du burnout. Si la revisite de certains éléments historiques de l’arrêt sont parfois utiles, ce n’est pas le centre du débat. L’accompagnement s’intéresse d’abord à la personne, pas à la maladie.
La question que se pose l’accompagnant est « Qui est cette personne en face de moi, où en est-elle dans son processus de reconstruction, comment l’aider ?». Si avoir vécu la même situation que la personne malade est aidant pour mieux comprendre rapidement son questionnement, ce n’est pas là le cœur de l’accompagnement.

Autre dimension, la personne est responsable. Elle seule peut s’aider et trouver les réponses à ses questions. Elle en est tout à fait capable, même si elle peut avoir besoin de soutien dans cette démarche. Sans rentrer dans des débats entre psychanalyse et Logothérapie qui ne sont pas le souci d’une approche très pragmatique, la personne n’est pas le simple jeu de son inconscient ou des événements. Elle a le choix et en particulier toujours le choix de choisir son comportement face à la situation. Elle a le choix de la façon de vivre sa reconstruction. Si elle n’a pas choisi la maladie, ni le burnout, elle a maintenant le choix de se reconstruire et de tenter de trouver un sens à ce qui lui arrive. Elle a également le choix de continuer dans son fonctionnement ancien ou d’en changer, les deux étant acceptables mais avec des conséquences différentes. L’objectif de l’accompagnant est d’augmenter le niveau de conscience de la personne en face, pour qu’elle soit en mesure de faire ses propres choix. Elle a également le choix de transformer son épreuve en solidarité sous une forme ou une autre. Ou pas.

Enfin, et c’est un point qui apparait souvent dans l’accompagnement, elle a le choix du rythme de sa reconstruction. Du temps qui lui faudra pour s’orienter, ou pas, vers une nouvelle vie qui donne plus de sens à ses actes. Là encore, nulle préconisation de la part de l’accompagnant. S’il faut changer rapidement, c’est possible. S’il faut 5 à 10 ans pour se réorienter, en prenant en compte la réalité du terrain et de la vie de la personne c’est valable aussi.

Ce qui est vraiment important pour l’accompagnant, c’est d’aider la personne à se dire « J’ai vécu ceci, je vais en faire cela, en allant dans cette direction, à mon rythme » et à choisir ce qui est juste pour elle.



[i] Sur le chagrin et sur le deuil Poche – 3 mars 2011 de David KESSLER (Auteur), Elisabeth KUBLER-ROSS (Auteur), Joëlle TOUATI (Traduction)

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Tannguy